L’élimination des « entraves à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux » et le droit pour chaque citoyen européen de voyager, résider, étudier ou travailler dans un autre pays de l’Union européenne : c’est le principe fondateur de l’UE, mentionné dès 1957 dans le Traité de Rome.
Parmi ces citoyens, on compte notamment les professionnels de la santé. « En tant que médecin, vous pouvez bénéficier d’une reconnaissance automatique de vos diplômes » sous certaines conditions, certifie le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM).
En d’autres termes, un médecin formé dans n’importe quel pays de l’UE peut exercer librement en France grâce à un accord entre les différents États membres. Alors que la France souffre depuis des années de déserts médicaux, certains voient dans cette coopération une solution à la rareté des soins.
Mais, en réalité, ce n’est pas si simple. Il est même ambitieux de se reposer uniquement sur cette alternative, qui représentait 15 693 médecins titulaires d’un diplôme européen inscrits (sur les 234 028 médecins en activité) en France en 2023, selon le CNOM à Hyperlocalnews.fr.
Comment fonctionne ce système de reconnaissance automatique ?
En tant que médecin (généraliste ou spécialisé), diplômé dans l’UE, vos compétences sont automatiquement reconnues partout dans l’Union européenne. Les diplômes concernés sont listés dans l’annexe V de la Directive européenne du 7 septembre 2005.
Mais il ne suffit pas de venir et de s’installer où l’on veut, comme ça, avec son diplôme. Vous devez obligatoirement d’abord obtenir l’autorisation de l’Ordre national des médecins. « On ne peut pas exercer en France sans être inscrit au conseil départemental de l’Ordre des médecins », précise auprès d’Hyperlocalnews.fr le Dr Frédéric Joly, secrétaire général adjoint au CNOM.
Dans le cadre de cette coopération européenne de libre circulation des personnes, il est vrai que ce système reste un parcours « simplifié » où, si l’on remplit les conditions, on peut exercer directement. C’est d’ailleurs le cas de 95 % des demandes, nous chiffre le médecin généraliste.
Mais si l’Ordre estime qu’il y a des lacunes dans votre dossier, direction le Centre national de gestion (CNG). « Votre demande sera soumise à une commission qui vérifiera que votre niveau de formation est équivalent au niveau exigé en France », détaille le PAPS Bretagne (le portail d’accompagnement des professionnels de santé en Bretagne).
En fonction des différences de niveau de formation et au regard de votre expérience, la commission pourra subordonner la délivrance d’une autorisation d’exercice à l’accomplissement de mesures de compensation, telle qu’un stage d’adaptation ou une épreuve d’aptitude. Une fois la mesure compensatoire effectuée et validée par la commission, une autorisation d’exercice vous sera délivrée.
Après validation, retour à la case départ. Il vous faut vous inscrire à nouveau au conseil départemental de l’Ordre des médecins pour commencer l’exercice.
+77 % de ces médecins en France en 13 ans
Voilà pour la théorie (assez administrative, on le reconnaît). Et en pratique, est-ce un système qui fonctionne ? Oui, selon les chiffres du CNOM.
En effet, au 1er janvier 2023, l’Atlas du CNOM sur la démographie médicale indique un nombre croissant des médecins diplômés à l’étranger et en activité en France. Sur l’ensemble des soignants (généralistes, spécialistes chirurgicaux et spécialistes médicaux), leur présence a évolué d’environ +77 % en 13 ans (en passant de 3,1 % en 2010 à 5,5 % en 2023).
L’Atlas du CNOM révèle également que les médecins à diplômes étrangers sont davantage implantés dans les territoires à plus faible densité – et donc susceptibles d’être les plus confrontés aux déserts médicaux.
Face aux déserts médicaux, « ça ne fonctionne pas »
C’est « un système européen très ancien » doté d’une mécanique rodée, résume Frédéric Joly. Mais s’il a « apporté une solution à la marge des déserts médicaux« , en revanche, il n’est pas LA solution aux déserts médicaux pour plusieurs raisons, nuance le secrétaire général adjoint au CNOM.
C’est même loin d’être le cas, selon une médecin généraliste bretonne interrogée par Hyperlocalnews.fr. « Les médecins de l’UE pour combler les déserts médicaux ou dépanner ponctuellement ? Ça ne fonctionne pas. Il y a trop d’inégalité de territoire et aucune remise en cause de la liberté d’installation », nous confie-t-elle.
Un médecin étranger peut s’installer où il veut, repartir quand il veut. Sans compter qu’il n’est pas attaché au public – comme tout médecin, il peut se laisser séduire par le privé…
« Bien souvent, l’installation des médecins n’est pas pérenne », acquiesce le Dr Joly. « Le médecin qui s’installe profite d’un effet »d’aubaine », il récupère (gratuitement parfois) un cabinet, une patientèle et un logement, il touche une prime de l’État car il vient s’installer dans un désert médical… », poursuit le médecin généraliste.
Puis, au bout de quelques années, il bouge, car il n’a aucune obligation de rester dans un territoire donné. De même, rien ne l’oblige non plus à rester dans le public…
La question de la maîtrise du français
Autre difficulté relevée par une chirurgienne, également interrogée par Hyperlocalnews.fr : la « mauvaise maîtrise du français » voire la barrière de la langue, qui peut s’avérer plus handicapante qu’autre chose – en particulier dans les situations d’urgence, « où il faut pouvoir agir et efficacement ».
Pourtant, la maîtrise du français fait partie des vérifications menées par l’Ordre des médecins. Et en cas de doute, le conseil départemental du CNOM peut demander un entretien, voire refuser l’inscription – le temps que la mise à niveau se fasse et de s’adresser, comme le veut la procédure, au Centre national de gestion.
« C’est forcément un obstacle majeur dans les métiers de l’humain et particulièrement en médecine générale, où une grande partie de l’analyse des problèmes se fait en discutant avec le patient », illustre auprès d’Hyperlocalnews.fr le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint du syndicat MG France.
Alors c’est « un système qui marche, c’est vrai, mais parce qu’il répond aux demandes individuelles des médecins d’autres pays de l’UE qui veulent venir exercer en France », complète Frédéric Joly, rappelant qu’il n’y a pas d’échange « organisé » ou de « quota » de médecins mobiles dans l’UE.
La libre circulation existe dans l’UE, mais il ne faut pas oublier que ça reste une démarche individuelle.
Continuer ce système, oui, mais…
À l’approche des élections européennes, faut-il alors réfléchir à un dispositif renforcé, pour affiner la sélection de médecins venant exercer en Europe ? « Je ne pense pas que l’on puisse organiser quelque chose de plus au niveau européen », répond le Dr Joly.
Mais, parmi les pistes de réflexion, « on pourrait aller vers une plus grande harmonisation des niveaux de formation dans l’UE et être plus regardant, pour garantir que nous avons tous les mêmes compétences et pour agir à la source », conclut le médecin généraliste.
Le Dr Nogrette invite quant à lui à « ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul ». Car, si l’on cherche à attirer le plus de médecins de l’UE en France, cela signifie aussi appauvrir des pays de ce type de professionnels et « il semble globalement immoral d’aller puiser dans la ressource médicale de pays pas nécessairement mieux dotés que nous ».
Le tout afin de « compenser l’incurie des responsables politiques qui ont laissé les déserts médicaux s’installer depuis 20 ans, alors que nous les avons prévenus sans discontinuer durant toutes ces années », grince-t-il.
Alors oui pour plus d’intégration des études au niveau européen, oui pour la mobilité intra-européenne, mais n’en faisons pas le remède aux déserts médicaux !
Il ne fait aucun doute que les eurodéputés verront la question revenir régulièrement sur la table au cours des prochaines années. D’autant que, comme nous l’avons mentionné dans cet article, le « creux de la vague » est attendu pour 2028, selon les projections de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES).
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